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Canadiennes d’hier

avez vue chez moi) que je pourrais prendre pour confidente : sa jalousie est déjà suffisamment éveillée. C’est une bonne amie dont j’apprécie les grandes qualités, mais à qui je ne conte pas grand chose de mes affaires. Sa vieille amitié a des exigences de jeune amour : elle est fidèle et généreuse mais terriblement exclusive. Vous avez vu qu’elle est affligée d’un tic, une contraction des mâchoires qui pousse le menton en avant, fait cligner les yeux et craquer les muscles du cou. Ce que vous avez pris pour une insistance indiscrète est une manie qui provient en partie de ce mouvement nerveux de la tête. Elle dit toujours trois fois les mots qu’elle veut accentuer, en tiquant du menton sans retenue. Je vous citerai en exemple la sortie qu’elle m’a faite quelques minutes après votre départ :

« Comme de raison, les Carrière, les Carrière. les Carrière ont toujours eu la première place dans votre cœur, votre cœur, votre cœur. Ils vous ont négligée pendant trente ans, mais dès qu’ils daignent se remontrer, vous leur tendez les bras, les bras, les bras et vos amis de tous les jours sont négligés, négligés, négligés. On va souvent se coucher sans penser à regarder les étoiles, mais on se lève à trois heures du matin pour voir passer une comète, une comète, une comète ! »

Que pensez-vous de cette façon d’intensifier les reproches, chère belle comète ?

Afin de ne pas m’exposer, d’ici quelque temps, à ce genre d’aménité, je n’ai pas dit à mon exigeante amie que j’ai reçu de vous une si aimable

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