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Canadiennes d’hier

Son père veut pas le forcer, il est encore trop jeune pour les gros travaux. Ça ! qu’il joue bien de l’accordéon pour faire danser !

Je pense bien qu’il retournera pas à l’école l’automne prochaine. C’est inutile, il a pas de talent pour les études. Il a de la misère à apprendre son histoire du Canada que c’en est une farce. C’est moi qui lui fais repasser ses leçons, le matin, avant qu’il parte pour l’école mais les petites filles sont toujours après ! Chaque fois qu’il passe une goélette sur le fleuve, si c’est pas Luce c’est Lucile qui lui dit : « Regarde, Cajétan, regarde passer l’Émérillon ou la Petite-Hermine », ou bien donc : « Va vite chercher la longue-vue, je crois que c’est la Grande-Hermine qui accoste l’île aux Coudres, vois-tu débarquer Jacques Cartier ».

Son père aime pas qu’on l’étrive ; hier encore, il disait :

« Moquez-vous pas de lui, c’en est toujours un qui aura pas envie d’être un homme de profession. En faut pour cultiver la terre et nourrir les paresseux qui ont peur de se salir les mains. J’en sais guère plus long que lui, moi, ça m’a pas empêché d’élever une grosse famille. Je sais qui est-ce qui nous a créés et mis au monde, je sais qu’on est des Français, je sais que le pape reste à Rome ; c’est tout ce qu’il faut. »

Maman arrivait de la laiterie sur ces entrefaites, elle a pris feu :

« Finis donc, mon pauvre vieux, dis donc pas de folie ; y a pas de quoi te vanter. Premièrement, t’as pas tout fait tout seul, me semble que j’ai fait

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