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Canadiennes d’hier

et ses principes. En ai-je assez entendu de ces tirades sur la beauté et la noblesse de la vie rurale ! Mis en demeure de prouver sa sincérité, il renâcle. Il est vrai qu’il a consenti sans la moindre hésitation au mariage d’Hélène avec un fils de cultivateur Mais c’est parce que les braves parents de Gustave, trop pauvres pour l’établir sur une terre, l’ont placé dès l’âge de seize ans en qualité de « bell boy » dans une maison de courtage et que, à force de ramasser les bouts de ficelle et de porter les papiers d’un bureau à l’autre, le jeune homme est parvenu à s’initier aux affaires et à réussir dans la spéculation. La tache originelle se trouve effacée.

Gros’maman, un passage de la lettre de Pauline Bellanger bien qu’entachée de canadianisme — ce qui est impardonnable à une institutrice diplômée, primée du prince de Galles — m’a permis un peu d’espoir. Elle vous écrit : « Si Jean l’aime, il sait où elle reste, elle n’a pas besoin de courir après. » C’est admettre que Jean ne l’aime pas, elle. Pauline, puisqu’elle a recours à des manigances pour m’éloigner de lui. Je veux avoir confiance ; si Jean m’aime réellement, en effet, il sentira que je l’appelle de toutes les forces de mon âme et il viendra me chercher. Il faudra bien alors que papa consente à mon bonheur ; sinon, je deviendrai nietzchéenne… je briserai les vieilles tables.

J’espère ne pas être obligée d’en venir là. La sécheresse de son cœur n’est que superficielle, j’en suis persuadée. L’âge, le fonctionnarisme, la fréquentation de l’ami Montaigne, ont déposé une croûte que j’essaierai de percer ou de soulever pour

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