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Canadiennes d’hier

l’irritent, c’est tout bonnement qu’il est un homme et qu’il ne veut pas se laisser attendrir. C’est aussi, peut-être, qu’elles lui rappellent d’autres larmes qu’il a fait couler, qu’elles le forcent à se souvenir de certaines cruautés de sa jeunesse qu’il aimerait mieux ne pas avoir commises. Je ne fais pas ici allusion à cette première flambée dont j’ai été la victime, il en était aussi innocent que moi. Ne cherchons pas plus longtemps le motif de sa présente attitude, ça ne change rien à l’affaire. Je ne me formalise pas de ses remarques piquantes : elles sont un hommage à la dignité de ma vie. Il est vrai que j’ai dans le cœur une réserve de tendresse que je suis heureuse de déverser sur vous, mais il est faux que je me mette à votre place en imagination. Je n’ai pas à rougir de mon fonds romanesque : il est propre. Je n’ai pas honte d’avoir des illusions, à mon âge, même si elles me rendent parfois imprudente. Je plains ceux qui ne peuvent plus s’intéresser au bonheur des autres : leur cœur est desséché. Ceci n’est pas à l’adresse de votre père. Lui, son cœur vaut mieux que son esprit. Dans le cas présent, hélas, l’événement le justifie de sa conduite. Moi, je n’ai pas su voir plus loin que mon grand nez. Je pensais travailler à votre bonheur et je vous préparais une cruelle déception. J’en suis bien punie : je vous aime comme si vous étiez ma fille et je suis obligée de vous faire de la peine. Sylvie, vous devinez où je veux en venir…

Ils sont mariés de ce matin ! Je les ai vus, de ma fenêtre, revenir de l’église. Pauline m’a lancé en

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