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Canadiennes d’hier

Mlle Sylvie Carrière à Mme Tessier
Québec, 5 novembre 1913.
Chère bonne amie,

Vous connaissez la cause de mon long silence. Cela me dispense d’en demander le pardon. Je sais que vous avez été mise au courant du triste état où m’a plongée votre dernière lettre et Cati m’a appris, depuis peu, que vous avez aussi écrit à papa quand vous m’avez annoncé la terrible nouvelle. J’avais pressenti votre bienfaisante influence avant d’en être instruite car il avait tout de suite changé d’attitude. Il s’est montré ce qu’il a toujours été au fond — mais tout au fond — sensible et compréhensif. Il fallait être susceptible comme je l’étais pour voir dans ses manières affectueuses et ses prévenances le genre de tendresse qu’il m’aurait témoignée si j’avais subi une opération chirurgicale dangereuse mais nécessaire ; je croyais y discerner la satisfaction d’avoir gagné la partie et j’en souffrais. Je suis reconnaissante à mon père de sa bonté, mais je ne peux me défendre de lui en vouloir un peu, même si l’événement semble lui avoir donné raison. C’est sa logique spécieuse, sa fausse sagesse qui m’ont empêchée d’obéir à ma première impulsion. J’aurais dû braver son déplaisir et me jeter à la tête de Jean. C’est ce que Pauline a fait et avec quel succès !

Il n’était plus un cultivateur au moment où elle a fait jouer le déclic de son piège à mari : il était un jeune homme, un homme… tout court.

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