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Canadiennes d’hier

même à nous autres qui, grâce à nos deux mères patries et à notre éloignement du théâtre de la guerre, n’avons pas entendu le canon ni subi les horreurs de l’invasion. Quel cri de délivrance a dû retentir en France à l’annonce de cette paix obtenue au prix de si grands sacrifices. J’imagine que la joie n’a pas dilaté les cœurs en proportion de ce que l’inquiétude les avait serrés pendant si longtemps : il y reste trop de deuils et de soucis de toutes sortes.

Chez nous, il manquait à notre joie la présence de celle qui aurait été si heureuse de la victoire des Alliés. Notre bonne gros’maman nous a quittés pour le ciel, le 26 octobre. J’ai attendu pour vous l’écrire que l’horizon se soit éclairci.

Depuis plus d’un an, sur sa recommandation, je vous cachais les progrès de sa maladie ; elle disait : « Il ne faut pas inquiéter ma chère fille ni la distraire de la tâche qu’elle accomplit. » Vous étiez toujours présente à son esprit, même lorsque vos belles cartes illustrées étaient un peu espacées. Jusqu’à ses derniers jours, quand on l’entendait murmurer « la vaillante », on savait à qui elle pensait.

La mort de sa parente et amie, Mme Rivet, survenue l’hiver dernier, l’avait éclairée sur son propre sort. Elle nous avait dit : « Je n’irai pas loin par derrière. »

Devenue complètement sourde depuis au-delà d’un an, au lieu de s’en plaindre, elle prétendait y trouver de grands avantages. Sa voix était toute changée, durcie et comme tournée en dedans. Elle

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