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Canadiennes d’hier

est vrai qu’il y a entre nous l’immensité de l’océan et qu’à trois mille milles de distance, les événements de St-Jean-Port-Joli peuvent paraître irréels… Est-ce pour cette raison que je ne retrouve pas dans mon cœur, qui pourtant n’a pas changé, ce sentiment de séparation définitive, ce déchirement, éprouvés il y a près de trois ans en descendant le St-Laurent ?

Ce jour-là, il m’avait semblé que mes parents et mes amis n’attendaient que mon départ pour mourir, que je leur arrachais l’âme pour compenser ce que je laissais de la mienne au pays. Il avait fallu rien moins qu’une extrême détresse physique pour me délivrer de ces pressentiments. Pendant trois jours, je n’avais plus pensé qu’à combattre le mal de mer, mais le quatrième jour, — le jus d’orange et le changement de scène ayant rétabli, en même temps, mon équilibre physique et mon équilibre moral, — garde Carrière, dans son costume bleu marine (genre Armée du Salut), s’était trouvée sur le pont, dès le matin, avec ses compagnes de voyage, en admiration devant le spectacle grandiose de 26 beaux icebergs qui se coloraient sous les caresses du soleil et qui, à distance respectueuse, paraissaient doux comme des agneaux.

Et ce fut l’arrivée en Angleterre, le séjour de six semaines à Londres, à l’hôtel Thackeray dans le Strand, et la visite de la ville ; puis la traversée de la Manche, agrémentée d’un court mais violent mal de mer, et notre entrée en fonction dans un hôpital anglais près des falaises d’Étretat ; enfin, après quelques mois, notre installation a l’hôpital

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