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Canadiennes d’hier

« gros’maman », pour faire plaisir à votre « chère fille ».

Sylvie

Mme Tessier à Mlle Sylvie Carrière
St-Jean-Port-Joli, 12 novembre 1912

Il faut que je vous aime beaucoup, chère petite fille, pour me décider à classer mes souvenirs et préciser ce qui ne me revient plus à la pensée que par bouffées de douceur et de tristesse.

Je ne sais pas par quel bout commencer. Quand je me recueille, ce n’est pas ma propre histoire qui se présente tout d’abord et le plus nettement à mon esprit, mais bien celle de ma famille, que vous ne m’avez pas demandée et qui vous ennuiera peut-être. Chaque fois que, comme ces jours derniers. je me rends jusqu’au fond du jardin pour apercevoir le fleuve avant d’entrer à la maison, chaque fois que je vois passer un bâtiment à voiles et même un paquebot des plus récents ou que, dans l’émotion que me cause toujours un coucher de soleil, je sens un nœud de larmes me serrer la gorge et tous mes sentiments affluer, celui qui me revient le plus vivement à la mémoire en ces moments-là, ce n’est pas Jacques Carrière, « mon premier cavalier » ni André Tessier, le cher mari que j’ai tant pleuré : c’est un bonhomme que je n’ai jamais connu mais à qui j’ai souvent pensé depuis que je suis vieille, quoiqu’il soit mort depuis plus de deux cents ans : c’est Jean-Marie Anquetil, natif

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