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Canadiennes d’hier

lage de St-Jean, à dix pas de l’église. Le mien était pilote et quitta le Port-Joli, tout de suite après la mort de ma jeune mère de dix-neuf ans, pour aller habiter Québec. J’avais trois ans lors de son second mariage.

Tant qu’a vécu mon grand-père maternel et tant que mes tantes, sœurs de ma mère, n’ont pas été mariées, ma belle-mère ne demandait pas mieux que de me confier à eux pour de très longues vacances. Les propriétés de vos parents et des miens étaient voisines, les relations entre les deux maisons, amicales et quotidiennes. C’est ainsi que, par un beau soir de juillet, en l’année 1859, au débarquer de la goélette qui m’avait amenée de Québec, je trouvai, en place de mon compagnon de jeux ordinaire qui traitait assez rudement ses sœurs et leurs petites amies, un grand jeune homme blond, timide, élégant dans sa tunique de collégien, que je n’ai plus osé tutoyer et que j’ai aimé tout de suite, de tout mon cœur.

Je ne sais plus s’il y eut une déclaration d’amour nettement formulée, mais je me souviens qu’il m’avait donné un trèfle à quatre feuilles que j’ai conservé longtemps dans mon livre de prières. En retour, je lui avais apporté du jardin de ma grand’mère une grande pensée sombre, à centre jaune d’or, qu’il avait pressée entre les feuillets de son gradus. Quelques jours après, j’avais trouvé, dans la fourche du gros peuplier où j’allais m’asseoir pour lire les romans de Paul Féval ou de l’abbé Guenot, un acrostiche, sans signature, que je sais encore par cœur. Je ne me suis jamais de-

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