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Canadiennes d’hier

mandé ce qu’il vaut au point de vue « littéraire ». Sur ses vieux jours, mon ami Jacques le jugerait peut-être ridicule, à tout le moins exagérée de sentiment et d’expression ; il le renierait sans doute. Je ne vous conseille pas de le lui rappeler. À moi, il paraît aussi bon que le temps de ma jeunesse. Jugez-en vous-même.

Velours noir pointé d’or ! Vos yeux, cette pensée
À jamais associés dans mon cœur pour toujours
Laisseront de l’émoi. Espérance insensée
En l’amour, beaux projets, doux rêves de mes jours,
Reviennent avivés, dès la nuit commencée.
fis me font entrevoir de célestes séjours,
Et vous êtes l’idole, en ces lieux, encensée.

L’été me parut court et la séparation d’autant plus cruelle. Sous l’œil soupçonneux de la tante Élisa, nos mains nerveuses s’unirent un instant. Jacques murmura un bref : « M’écrirez-vous ? » Un oui jaillit de mes yeux et roula jusqu’à mes lèvres. Ce fut tout.

Les autorités du collège Sainte-Anne et celles de mon couvent réprimèrent sévèrement la première tentative de correspondance. Jacques fut puni de m’avoir écrit une lettre et moi, de l’avoir reçue. Il fallut en rester là. Mais je vivais dans l’espoir de le revoir aux vacances suivantes et j’étudiais avec ardeur pour me rendre digne d’être aimée d’un si gentil poète.

Mon grand-père Dumas mourut dans le courant de l’hiver. Au printemps, mon oncle Eugène et ma tante Caroline se marièrent ; la maison chan-

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