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Canadiennes d’hier

J’étais retournée quelquefois à St-Jean-Port-Joli, dans les années qui suivirent mon grand et unique chagrin d’amour, en courtes visites à mes parents et aux vôtres. Vos tantes venaient souvent me voir à Québec, mais j’avais totalement perdu de vue mon ami Jacques. Je savais que, ses études classiques terminées, il faisait son droit à l’Université Laval et les échos de ses succès mondains parvenaient de temps en temps jusqu’à moi. Beau, spirituel, musicien, tournant agréablement le couplet (comme on disait alors), il était lancé dans la haute société.

La ville de Québec, dans les années qui ont précédé la Confédération, était plus animée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elle était le siège des deux gouvernements et des troupes anglaises y tenaient garnison. Le salon de Mme Duval réunissait les deux sociétés : l’anglaise et la canadienne-française. C’était le foyer où les papillons du beau monde québécois venaient se brûler les ailes. Les officiers anglais aux voyants uniformes, dont plusieurs appartenaient à la plus haute aristocratie, y fréquentaient assidûment. Cependant, leur prestige ne nuisait pas, auprès des dames, à trois étudiants en droit dont l’un était le fils de la maison, l’autre, le fils du lieutenant-gouverneur et le troisième, ni plus ni moins que l’auteur de vos jours. Il n’était encore que l’auteur de bons mots et de chansons pleines de verve qui faisaient les délices de la société. C’était au temps de la grande vogue des romans d’Alexandre Dumas père. On appelait ces jeunes favoris « les trois mousquetaires » et toutes

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