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Canadiennes d’hier

les mères de filles à marier les accablaient de politesses, même sans espérer fixer leur choix.

En ce temps-là, j’étais parfaitement et paisiblement contente de mon sort, dans ma grande et confortable maison de la Côte-St-Georges, avec le meilleur des maris et mes espérances de maternité. Je n’avais pas oublié mon acrostiche, mais il ne me faisait plus le même effet.

À votre âge, chère Sylvie, j’avais un petit enfant dans les bras, j’étais la plus heureuse des femmes. Cinq ans plus tard, il ne me restait rien de mon bonheur : mes deux enfants et mon mari étaient morts. Je demeurai longtemps indifférente à tout. Le chagrin avait tué en moi toute énergie et je faillis retomber sous le joug de ma belle-mère. Mme Rivet, qui aime tant se mêler des affaires des autres, fut ma providence en cette circonstance. Elle me représenta les inconvénients d’un tel rapprochement. Elle aussi était devenue veuve depuis peu et, comme moi, n’avait pas trente ans. Ses ressources, bien que supérieures aux miennes, ne lui permettaient pas de continuer son même train de vie à Québec où, d’ailleurs, les bonnes langues n’auraient pas manqué de critiquer sa détermination de vivre sans chaperon. Elle me suggéra d’aller, avec elle, demeurer à la campagne. Le cher Saint-Jean de mon enfance se présenta tout de suite à mon esprit. Ma résolution fut vite prise et mes malles vite faites. Mon oncle Eugène Dumas m’offrait l’hospitalité dans la maison de mon grand-père ; je partis avec l’assentiment de mon

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