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Canadiennes d’hier

L’élégant sleigh rouge glisse et crisse sur les traces reluisantes des voitures qui reviennent des vêpres, tiré avec entrain par Fanny, la pouliche isabelle à queue et crinière blanche et brune. Son jeune maître me confie qu’il l’a domptée lui-même, qu’elle le connaît et obéit à son moindre signe. L’été dernier, à peine âgée de trois ans, elle a gagné la coupe aux courses des Trois-Saumons. Je lui en fais mon compliment ; il m’en remercie d’un sourire, puis il fronce les sourcils et m’avoue qu’elle est un peu ombrageuse, mais qu’un mot d’encouragement suffit à la rassurer. S’il le désire, elle marche à pas mesuré comme un cheval de labour.

La fine petite bête trottait allègrement. Le gros du village était loin derrière nous. Les maisons devenaient plus espacées et plus éloignées de la route ; on voyait les deux bords de la vallée du Saint-Laurent et le fleuve nous accompagnait. J’étais transportée entre deux montagnes bleues dans un pays enchanté. L’air était vif ; le soleil déclinant faisait étinceler la neige et clignoter les yeux. Je restais sans paroles devant la beauté de ce qui m’entourait, infiniment émue et désireuse de voir durer ce moment rare. Mais la pouliche ne l’entendait pas ainsi. Littéralement, elle volait entre les balises vertes de la route, au-dessus des belles ombres bleues qui s’allongeaient sur son passage. Les guides bien en mains, mon cavalier murmurait : « doucement, la petite, doucement ! » Sa voix me berçait agréablement mais ne calmait pas la petite. Comme nous arrivions en vue de la maison de son père et qu’il me désignait des cils, si

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