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Canadiennes d’hier

je viens d’entendre sonner le Magnificat et que je veux être prête à partir afin de ne pas faire attendre M. Leclerc. Vous m’aidez à passer mon manteau et vous en levez le col d’un geste qui affecte d’être machinal. Vous voudriez bien que j’enfonce ma toque jusqu’aux oreilles, mais je résiste et. quand vous insinuez que je devrais emporter votre bon châle parfumé de camphre, par mesure de précaution, je juge cette précaution inutile.

La porte s’ouvre, Régina entre. Elle est revenue de l’église en voiture avec votre jeune ami, et me dit qu’il ne peut pas venir à la maison parce qu’il doit tenir sa pouliche qui est impatiente de partir. Je sors précipitamment pour ne pas faire attendre la pouliche. Madame Pellet, Mlle Levrard, Delvina Duvallon (vous voyez que je me rappelle leurs noms) passent à ce moment sur le trottoir. Elles s’arrêtent sans vergogne pour me voir monter en voiture, en me dévisageant chacune à sa façon : l’une, béatement : l’autre, en pinçant le bec ; la troisième, en accomplissant le tour de force de regarder à la fois ma personne et le bout de son nez.

Mon beau cavalier a préparé ma place ; sa frémissante pouliche ne lui donne pas le temps de faire des cérémonies. Il me pousse entre les deux peaux d’ours bordées de languettes bleues et rouges, se glisse auprès de moi, et nous voilà en route avant qu’il ait eu le temps d’introduire sa deuxième jambe dans la voiture. Nos bonnes commères restent plantées, stupéfaites de la rapidité de l’enlèvement, prêtes à crier au scandale.

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