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Canadiennes d’hier

lui, sa lanterne à la main. Un jet de lumière donna dans les yeux de notre Castor qui fit un seul bond de côté, mais un bon, enfonça dans la neige molle jusqu’au poitrail et tomba les quatre fers en l’air en se débattant pour en sortir. Il entraînait dans sa chute, comme on pouvait s’y attendre, le beau sleigh rouge et ses occupants.

Le père Duvallon avait déposé sa lanterne sur le perron et riait aux larmes, la bouche fendue jusqu’à ses petits favoris frisés. D’une voix entrecoupée de joyeux râles, il se mit à crier :

« Torrieu ! mes amis, pour une culbute, c’en est une !… vous avez rien de cassé, j’espère en v’là une manière d’arriver aux portes ! Attends, que je t’aide à dételer ta pouliche… »

Il s’essuyait les yeux du revers de ses mains bleuies par le froid, par-dessous la visière de son « casque à palettes ». Son gros ventre lui sautait au menton.

Nous n’avons pas été lents à nous remettre sur pied. J’ai secoué la neige de mon manteau et glissé à l’oreille de Jean :

« N’en parlons pas, ce soir, à madame Tessier ».

Comme j’entrais dans le tambour, j’entendais le bonhomme, qui n’avait pas fini de rigoler, dire en graillant :

« Si vous étiez « eusses » morts là ! »

Voilà, chère bonne amie, la relation exacte de ma petite aventure. Je suis bien sûre que vous en avez appris le dénouement tout de suite après mon départ : les Duvallon ont dû s’empresser d’en régaler le voisinage. Je tenais à vous en faire con-

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