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Canadiennes d’hier

passaient par la tête. Je croyais sentir battre contre ma joue le cœur de votre Jean, gros’maman, quand, en réalité, je ne pouvais percevoir que le rythme de sa respiration accentué par son reniflement continuel. Je supputais le prix de ce bienheureux capot qui me tenait au chaud par cette température sibérienne. Je me demandais combien de pauvres chats avaient donné leur sept vies pour sauver la mienne, ce soir-là, et me procurer la joie de reposer sur le cœur du plus joli garçon de la province de Québec.

En apercevant les premières lumières du village, Castor avait compris qu’il devait hâter le pas. Je m’étais redressée, mon cavalier avait retiré lentement son bras engourdi et tourné son visage de mon côté. Son bonnet de fourrure et le col de son paletot étaient couverts de givre, le sourire était figé sous sa moustache blanchie, mais ses joues, son beau nez étaient rouges et tout un firmament d’étoiles brillait entre les cils alourdis de glaçons minuscules.

Castor, en cheval d’expérience, avait décidé de ne pas nous conduire à votre porte principale, craignant, sans doute, de ne pas pouvoir tourner facilement sa voiture à cause de la coupe du trottoir. Il avait pris la montée qui mène directement à l’écurie de votre voisin où il savait trouver abri. Son maître lui avait fait comprendre qu’il devait s’arrêter un instant à la porte de service pour me permettre de descendre ; un pas de plus et nous y étions. À ce moment, M. Narcisse Duvallon, qui nous avait guettés, sortit de chez

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