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Canadiennes d’hier

madame, vous ne pouviez pas prévoir ce qui est arrivé. Ne vous fatiguez pas l’esprit à imaginer des complications qui ne se présenteront peut-être jamais et permettez-moi d’attendre, pour mettre mon père au courant de mes affaires de cœur, que j’aie quelque chose de précis à lui confier. Si je me décidais d’aborder le sujet, en ce moment, voici tout ce que je pourrais dire :

« J’aime depuis cinq mois un jeune homme que j’ai vu de profil et à la dérobée, pendant la grand’messe, à St-Jean-Port-Joli, l’été dernier. Lui, tout à son devoir de chrétien et de chanteur, ne m’a même pas vue et n’avait jamais entendu parler de moi avant de m’être présenté par madame Tessier, au réveillon de Noël. Il est cultivateur. Penses-tu que je ferais une mésalliance en l’épousant ? »

Papa croirait que je veux plaisanter ; il me regarderait par-dessus ses lunettes et dirait :

« Est-ce qu’il t’a demandée en mariage ? »

À mon grand regret, je serais obligée d’avouer qu’il n’y a pas même pensé, et papa dirait en souriant ironiquement :

« Attendons que le fait se produise ; nous verrons alors ce qu’il faudra décider », ou quelque chose d’approchant.

Ce qui presse le plus, gros’maman, c’est de m’assurer des sentiments de votre jeune ami. M’aimera-t-il ? Tout est là. Soyez tranquille, je ne me propose pas de me jeter à sa tête, — pour le moment du moins, — je veux être patiente et me conduire en jeune fille réservée. Je compte beaucoup sur notre séjour à St-Jean, l’été prochain. 88

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