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Canadiennes d’hier
« Endroit célèbre au loin et pays pas trop bête… »
(poète local)

qu’il est l’héritier d’un beau bien de famille, d’une grande maison au bord d’un grand fleuve, qu’il a de l’instruction, de la délicatesse, un charmant caractère. une voix bouleversante, et qu’il est beau comme un cœur ! Franchement, dans les dispositions où je suis, il pourrait me demander d’aller passer — avec lui — quelques années au troisième rang de St-Aubert, dans sa cabane à sucre, que j’accepterais avec enthousiasme.

Si je me souviens bien, chère madame, vous avez jadis conseillé la petite déracinée que je suis de se repiquer bien vite en pleine terre ; je suis prête à suivre votre conseil. Je sens profondément le besoin de me transplanter. Les sociologues ont raison de dire que l’atmosphère des villes est déprimante, que les races les plus vigoureuses s’y étiolent à la longue. Savez-vous bien que les Carrière ont abandonné le mancheron de la charrue depuis, déjà, trois générations ?

Papa, pour sa part, a toujours regretté d’avoir quitté St-Jean-Port-Joli. Il dit souvent que s’il pouvait recommencer sa vie, il l’orienterait de façon bien différente. Il a parlé bien des fois de racheter la terre de sa famille et d’aller finir ses jours dans la maison paternelle. Quand il a des ennuis à son bureau ou quand son foie ne fonctionne pas très bien, il va plus loin : il prétend qu’il ne mérite pas son pain quotidien, que le cultivateur seul peut manger le sien en toute sécurité de conscience.

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