Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
298
CHARLOT S’AMUSE

À présent, le soir, il rôdait le long des boulevards extérieurs, de la Villette au quartier Rochechouard. Il n’espérait plus rien, et sa profonde désespérance était si intimement enracinée qu’il n’avait plus la force de se plaindre, repris de ses théories de fataliste et traînant son boulet avec une résignation passive et morne, dans la conviction qu’il en serait ainsi toujours, éternellement, et que rien ne lui réussirait jamais, jusqu’à ce qu’il crevât, épuisé et vidé, au coin d’une borne ou dans son lit. Et il se vidait, à furieux coups, trouvant que le mal n’allait plus assez vite.

Il aimait le boulevard extérieur, à cause de ses arbres et de l’étroite promenade qu’ils allongeaient en une allée sablonneuse faisant deux chaussées, à cause de ses bancs surtout. Il s’intéressait à sa population spéciale, à ses typiques promeneurs, ouvriers en famille, se reposant là, dans la recherche d’une improbable fraîcheur, et marmots vautrés dans le sable. Plus tard, quand ces braves gens rentraient chez eux, il observait les filles montant leur quart, ou les ivrognes battant les murs, et il s’amusait bêtement de tout, comme les enfants : du passage des tramways cornant leur trompe, ou des cochers à la queue-leu-leu, s’endormant sur leur siège et réveillés par une