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CHARLOT S’AMUSE

engueulade du sergent de ville ou du gardien de la station. Mais, surtout, Charlot adorait s’asseoir au-dessus du tunnel du chemin de fer de l’Est ou de celui du Nord. Devant lui, là, il n’avait plus au moins la sempiternelle clôture des bâtisses, masquant l’horizon et faisant du boulevard un boyau. À l’endroit où la voie passait sous la chaussée, c’était par dessus le garde-fou en tôle bordant le trottoir, un grand vide en éventail dans lequel le regard se perdait. Au bout, il découvrait l’illumination flambante de Paris qui mettait dans le ciel la pâleur rose d’une pointe d’aube. Plus près, en bas, c’était un fourmillement de becs de gaz, de feux rouges et verts, de signaux de toutes sortes qui éclairait l’entrecroisement embrouillé des rails, dont l’écheveau luisant allait s’élargissant vers la gare. Et il avait une hébétude d’une immense douceur à sentir, dans l’écrasante inertie de son repos, une vie spéciale, étrangement fiévreuse, monter à lui de ces routes de fer, avec les roulements sonores, les bruits métalliques longuement réguliers des plaques tournantes, heurtant, à chaque wagon, leur fonte contre l’arrêt du buttoir, et à entendre les coups de sifflet, stridents ou prolongés en glapissement, que poussait, dans d’incessants va-et-vient, une armée de locomo-