Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
340
CHARLOT S’AMUSE

amertume contre cette foule joyeuse au milieu de laquelle il était seul et qui le coudoyait sans se douter qu’il allait mourir. Il n'avait pas la force d’imiter ces héros et d’en vouloir à ce bonheur universel. Il restait accoudé sur le garde-fou, emplissant ses yeux de lumière et de couleurs, et sa somnolence n’avait plus une pensée.

D’autres passants s’arrêtaient maintenant, sur les marches de la passerelle, et formaient sur ce cerceau une longue grappe d’hommes et de femmes qui se découpaient en noir sur le ciel. Le vent agitait les robes, les fichus, les bourgerons bleus et faisait onduler entre les barres de la rampe tout un pavois plus clair, comme si le pont eût voulu réunir là, dans un vivant trait-d’union, les décorations de chaque quai. Perdues entre les curieux, des apprenties mettaient dans cette réjouissance populaire la griserie folle d’enfants que soûle, à l’avance, dans une orgie de bruit et de gambades, la perspective d’une fête. D’aucunes ne pouvant voir, s’amusaient à cracher dans le canal, et Charlot s’oubliait encore à regarder ces gamines se faufiler entre les jambes des spectateurs, et à entendre leurs éclats de rire, lorsqu’elles avaient fait dans l’eau noire de grands ronds dont les cercles s’élargissaient concentriques,