Page:Bordier - Ambassade en Turquie de Jean de Gontaut Biron, baron de Salignac.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaire qui ne semble pas s’être terminée à l’honneur de ses adversaires. Le vicomte demeura sur la place, percé de dix-sept coups.

Sur ces entrefaites, une nouvelle trêve fut signée à

    de Duras. Celui-ci vint trouver le vicomte de Turenne à Agen afin de convenir des conditions du combat. « Je luy dis, raconte Bouillon, que le lendemain de grand matin, je me trouverois au bout du Gravier (ainsy appelle-t-on la place qui est entre la ville et la riviere de Garonne du costé qui va à La Foz) monté sur un courtaut, avec une espée et un poignard, et que là son frère et moy nous nous contenterions. Il me dit qu’il vouloit estre de la partie ; je refusay cela, il me le contesta, je m’accorde d’y mener un ami. Nous nous donnons le bonsoir, je le conduisis jusque dans la rue. Soudain après estre retourné dans ma chambre, je donnay le bonsoir à tout le monde, et envoyai quérir le baron de Salignac, auquel je dis ce qui s’estoit passé entre Duras et moy, et que je le priois de m’assister en cela ; ce qu’il accepta volontiers. Nous & avisasmes nos épées et poignards, et en prismes chascun une, longue de trois pieds, épées que nous portions ainsi ordinairement, et aussi deux poignards, n’estant lors ceste vilaine et honteuse coustume introduite depuis, de porter aux duels des épées de cinq ou six pieds, des poignards avec des coquilles comme des demy rondaches. Cela fait, nous nous séparons.

    Le matin avant jour, il me vint trouver. Ayant accomodé la pointe de nos épées, nous résolûmes d’user de toutes les courtoisies que les occasions nous offriroient envers ceux à qui nous devions avoir affaire. Je pris un pourpoint découpé, en quoy je faillois, pour se pouvoir aysément embarrasser dans les découpures les gardes du poignard ou de l’espée. Le jour venu, nous prenons chascun un courtaut, des esperons sur nos bas de soie, nous faisant suivre par un petit laquais. Nous sortons par la porte du Pin, et nous nous rendons au lieu désigné, où nous demeurasmes près de deux heures ; à la fin, nous voyons venir les deux frères, montés sur deux chevaux d’Espagne, contre ce qu’ils avoient arresté. Ils s’approchent de nous, et veulent mettre pied à terre je leur dis « Allons plus loin, voilà des gens qui courent après nous, qui nous sépareroient. Nous galopons environ deux cens pas, bouillans de venir aux mains et craignans que de la ville on ne courust et fussions empeschés. Je m’arreste et mis pied à terre, et le baron près de moy, faisons oster nos espérons et priasmes Dieu ; eux mirent aussi pied à terre. Duras s’avance pour nous visiter. Nous estions tout détachés, la chair nous paroissant par l’ouverture de nos chemises ; eux ne l’estoient, mais seulement déboutonnés de quelques boutons. Ainsi que Duras me visitoit, je luy mis la main sur le pourpoint, luy disant qu’il n’estoit maillé, le tenant trop galant homme ; je dis de mesme à son frère qui estoit à 10 ou 12 pas de moy. Je vis qu’il avoit des éperons, je luy dis qu’il les ostat, le pouvant faire tomber, ce qu’il fit. »

    Nous empruntons la suite de ce récit à un Mémoire qu’écrivit le vicomte de Turenne après cette affaire, et qui fut présenté à un tribunal de gentilshommes appelés à juger la conduite des deux frères Duras (Bibliothèque nationale, fr. 20153, fo 177). « Je m’en vais droit au Sr de Rozan, dit Turenne, et du premier coup, je luy donne une estocade dans l’estomac ;