Page:Borel - Œuvres complètes, II, 1922.djvu/237

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Et se plaisait à voir l’ombre de mon corps maigre
S’estomper dans la nuit sur les murs d’un couvent.

Méprisant sans pitié ceux qui bayent aux grues,
Elle honorait partout les fronts intelligens,
Et ne s’exerçait point à tirer par les rues
Des coups de pistolet pour attrouper les gens.

À ranimer la muse en vain je m’évertue,
Elle est sourde à mes cris et froide sous mes pleurs :
Sans espoir je me jette aux pieds d’une statue
Dont le regard sans flamme avive mes douleurs.

M’a-t-elle vu jamais, à l’heure où je frissonne
Criant sous l’ongle aigu de l’âpre adversité,
Porter envie à tous et secours à personne,
Et mettre à nu mon cœur vide et désenchanté ?

Ai-je, méprisant l’art, dans un jour de colère,
Méconnu sa puissance et nié qu’il soit fort ?
Ai-je dit que la gloire étant un vain salaire,
Aucun but ne valait la peine d’un effort ?

L’ai-je, un seul jour, contrainte à rythmer la louange ?
Mieux vaudrait dans sa gorge étouffer ses accens
Que de lui voir jeter comme un œuf dans la fange
Sa pensée indécise aux banquets des puissans !