Page:Borel - Champavert, 1833.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je t’aime encore, je le sens là, je ne puis me le cacher ; je t’aime, et je te hais profondément ; et cependant, si tu venais me prendre la main, si tu venais me dire tout bas ce mot que tu m’as toujours tu, si tu venais me dire je t’aime, comme autrefois… car tu m’as aimé, j’en suis sûr ; je suis sûr que tu as étouffé ton amour pour moi, que tu as repoussé le mien, parce que aimer, être aimé d’un enfant obscur n’était pas ce que voulait ton esprit orgueilleux, et je t’aime encore aussi violemment ; et pourtant, te dis-je, si tu venais à moi, je te repousserais ; car je t’aime aujourd’hui pour ce que tu as été, et non pour ce que tu es. Si tu te jetais à mes genoux, je serais sans pitié, je te frapperais ; si tu t’attachais à mes pas, froid, je te traînerais, je serais vengé.

Puis, accoudé, silencieux, ce pauvre Champavert pleurait amèrement.

— C’est le premier pas dans la vie, qui décide de la vie ; versez du vinaigre dans le vin le plus doux, il deviendra vinaigre, murmura-t-il en ramassant les débris de la boîte d’écaille qu’il baisait et mettait dans sa bourse.

Tout à coup, il se lève, enfonce son chapeau sur son front, sort et clôt sa porte.