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Page:Bornier - Œuvres choisies, 1913.djvu/198

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des témérités pareilles avaient exposé l’Église entière aux persécutions… »

Polyeucte réussit cependant devant le public ; mais, même après le succès, certaines consciences ne furent point désarmées. Le prince de Conti, dans son Traité de la comédie et des spectacles, parle du chef-d’œuvre de Corneille, comme on va voir : « En vérité, y a-t-il rien de plus sec et de moins agréable que ce qui est de saint dans cet ouvrage ?… »

Et le prince de Conti ajoute : « Aussi Dieu n’a pas choisi le théâtre pour y faire éclater la gloire de ses martyrs. » Si Polyeucte a excité de terribles inquiétudes et soulevé de telles critiques, je ne me dissimule pas que l’Apôtre serait exposé à une épreuve bien plus redoutable en paraissant sur la scène avant d’être jugé par le lecteur, toujours plus calme et plus attentif que le spectateur.

Voici ce que j’ai voulu faire : peindre, dans un cadre restreint, la lutte des trois religions, polythéisme, judaïsme, christianisme. Le polythéisme meurt en riant de lui-même, il se désagrège plutôt qu’il ne se défend ; le judaïsme se défend, au contraire, avec la fureur des hommes et des institutions qui, contenant une part de vérité, ne veulent pas accepter la vérité tout entière ; le christianisme, persécuté, mal connu, haï et calomnié, triomphe par la seule force de la vérité complète qui est en lui et qu’il apporte au monde.

Le polythéisme est représenté dans ce drame par le duumvir romain Afranius, dont on trouvera facilement le type-modèle dans les Dialogues de Lucien ; le judaïsme, en ce qu’il a d’implacable, est représenté par Elymas, le rabbin sadducéen, c’est-à-dire le type de cette secte absolue, hautaine, avare, haineuse et cruelle ; le christianisme est représenté par saint Paul, c’est-à-dire par l’apôtre des Gentils.