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Page:Bornier - Œuvres choisies, 1913.djvu/254

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Sous le dernier soleil, à la face de Dieu,
Quelqu’un sera debout, un homme, un Juif ! Adieu !

(Il sort, suivi d’Afranius, des licteurs et des Juifs).


Scène V

PAUL

Cet homme, dans sa rage et sa haine première,
Serait grand, s’il ouvrait les yeux à la lumière ;
Je ne l’espère pas : l’ombre a ses préférés ;
Mais du moins que par moi d’autres soient éclairés !
Si tu restes… m’a dit Afranius, — un rêve !
Cette mer qui vient battre ou caresser la grève,
Qui pousse au doigt de Dieu son flux et son reflux,
Ne se repose pas… ni l’apôtre non plus !
Pourtant voilà dix ans que je souffre et je prie,
Que je traîne ma chair frémissante et meurtrie,
De chemins en chemins portant ma lourde croix ;
N’ai-je pas expié mes fureurs d’autrefois ?
Calomnié par l’un ou torturé par l’autre,
N’ai-je pas accompli tout mon labeur d’apôtre ?
Peut-être !… Le repos, un asile le soir,
Sous un arbre, une pierre où je viendrais m’asseoir,
Où je retrouverais ma place accoutumée,
Un toit qui m’appartienne, une famille aimée
Que suivraient mes regards humides et joyeux
Quand le dernier sommeil descendrait sur mes yeux !
Je n’ai pas refusé mes efforts à ma tâche :
L’on m’a dit insensé, l’on ne m’a pas dit lâche,
Et si quelque repos m’est permis à présent,
Parle, toi, mon Seigneur, en moi toujours présent ;
Seigneur, montre-le-moi par d’infaillibles preuves :
Mon âme est toujours prête aux nouvelles épreuves,
Mais elle est prête aussi, Seigneur, en t’écoutant,
À cet humble bonheur que je rêve un instant !