Page:Bornier - Agamemnon, 1868.djvu/15

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Qui roule loin du but au moment d’y toucher,
Tantale, au sein des flots, brûlé d’ardentes fièvres,
Poursuivant l’eau qui fuit de ses avides lèvres,
Horrible châtiment d’un festin criminel…..
Nous l’avons dépassé, ce forfait paternel !
Quand je compte les noms de ma race maudite
Dans cette urne où la main de Minos les agite,
De tant d’hommes sans cœur, sans pudeur et sans foi,
Quel est le plus atroce ? Après mon frère, moi !
La chair de mes trois fils m’a servi de pâture ;
Ma volonté du moins d’un tel crime était pure ;
Mais lorsque le destin précipitait mes pas
Vers l’inceste et le rapt… je ne l’ignorais pas !
Ainsi, lugubre auteur de ma double famille,
Un fils digne de moi m’est donné par ma fille ;
Aïeul, père et mari tout ensemble, j’ai fait
Reculer le soleil honteux de mon forfait !
Eh bien ! même aux enfers, pour bonheur il me reste
Cette fécondité du rapt et de l’inceste ;
Le fruit qu’ils ont porté m’en ôte le remord,
Et mon crime, du moins, avec moi n’est pas mort !
— Enfin, voici l’instant des fureurs ordonnées
Pour l’accomplissement des lentes destinées :
Le chef des chefs, vainqueur de Troie, Agamemnon
De qui mille vaisseaux portaient au loin le nom,
Rentre dans son palais où l’épouse barbare
L’attend….. Que fera-t-elle ? Un festin se prépare ;
Mais le fer, les couteaux et les haches sont là :
Viens, Égysthe, mon fils : tu naquis pour cela !
Eh ! quoi ! ton cœur se trouble et la honte t’arrête ?
Pourquoi délibérer quand la vengeance est prête ?
Souviens-toi de ta mère, et, sans plus t’émouvoir,
Venge-la, venge-moi ; frappe : c’est ton devoir !
Et toi, que nos forfaits jadis mirent en fuite,
Lumière ! Cette fois éclaires-en la suite,