Page:Bornier - Poésies complètes, 1894.djvu/44

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Quant au loyer, je sais votre embarras extrême :
Ce sera deux cents francs, parce que je vous aime !
C’est dit, vous acceptez, n’est-ce pas ? — Il le faut ;
Au revoir donc, monsieur. — Mesdames, à bientôt !

Les deux femmes, longtemps muettes, interdites,
L’écoutaient s’éloigner : « Oh ! nous sommes maudites !
Cria la mère enfin, plus d’espoir désormais !
La misère est un mal qui ne guérit jamais ! »

Mais, de nouveau, des pas sur le palier sonore
Retentissent… Qui vient vous affliger encore,
Pauvres femmes ? Quel est ce messager de deuil ?
C’est un prêtre, un vieillard. S’arrêtant sur le seuil,
Et saluant plus bas plus il voit d’infortune :
— Madame, excusez-moi si je vous importune ;
Je reviens du village où l’on m’a tout appris :
Votre ruine, hélas ! votre fuite à Paris.
Longtemps, longtemps aussi le sort me fut contraire,
Et je puis vous parler comme ferait un frère.
Madame, je sais trop, moi fils de paysans,
Quels sont nos désespoirs et nos regrets cuisants,
Quand, faute d’un peu d’or, nos champs restent en friche,
Et qu’il faut rester pauvre aux lieux où l’on fut riche !
Mieux vaut l’exil, mieux vaut Paris, mieux vaut la faim !
Voilà ce qu’on se dit. Mais on a tort, enfin !
La misère à Paris, pour l’âme hasardeuse,
Ce n’est pas seulement la pauvreté hideuse,