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LES FÉES.

êtes bien longue en vos besoignes. » À peine avait-il prononcé cette apostrophe fatale, que la fée jeta un cri aussi déchirant que si ce mot lui eût, en effet, porté un coup mortel, puis elle disparut en imprimant sa main sur la porte du château. Toutes les nuits, vêtue d’une robe blanche, elle revient errer autour du manoir seigneurial, en poussant de longs gémissements, parmi lesquels on distingue ce cri funèbre : la mort ! la mort !…

« Deux circonstances, dit M. Pluquet, paraissent avoir donné lieu à cette tradition fabuleuse : la première est la victoire que remporta Robert d’Argouges sur un Allemand d’une très haute stature, nommé Brun, lors du siège de Bayeux, par Henry Ier, en 1106 ; et la seconde, les armes de la maison d’Argouges, où se trouve, pour cimier, la Foi sous la figure d’une femme nue jusqu’à la ceinture dans un vaisseau, avec la devise ou cri de guerre : À la fé (à la foi) ! que le peuple prononçait : À la fée ! »

Cette légende de la fée du château d’Argouges est attachée de même au château de Rânes, qui faisait aussi partie des domaines de la famille d’Argouges. Seulement, à Rânes on prétend que la fée disparut par le sommet de la tour, en laissant sur les créneaux l’empreinte de son pied, qu’on y voit encore. Le château de Rânes, situé dans l’arrondissement d’Argentan, fut construit en 1402, par Philippe d’Argouges, seigneur de Gratot, et par Marguerite de la Champagne sa femme. Cette dame portait trois mains, posées en pal, dans ses armes, et nous trouvons là une nouvelle circonstance explicative de la légende. Peut-être même est-ce Marguerite d’Argouges qu’il faut regarder comme en étant la véritable héroïne ; car, à bien dire, les fées semi-historiques n’étaient que l’idéal des châtelaines : de grandes dames si belles, si nobles, si charitables, si spirituelles, si parfaites en un mot, qu’elles étaient fées, comme était, dit-on, Tiphaine, la femme de Bertrand Duguesclin.

Il ne reste plus du château de Rânes qu’une tour crénelée ;