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CHAPITRE VI.

cinq nourrices pour les allaiter, sont fort pesants et fort maigres. En Allemagne, on appelait ces enfants Wechsel Kind, enfants changés. Luther prétend qu’ils ne passent jamais sept ans. Il en avait vu un qui criait chaque fois qu’on le touchait, et qui riait lorsqu’il arrivait quelque accident en la maison ; mais il fut éteint par prières[1].

La croyance aux diables qui abusent les femmes ou séduisent les hommes, est commune en Normandie. Il ne faut pas tout-à-fait accuser de l’invention de ces fables l’imagination dépravée des prétendues sorcières, attendu que la tradition peut y avoir une grande part. Les Gaulois et les Celtes mettaient au nombre de leurs divinités une espèce de faunes ou satyres, appelés Dusii, et surnommés quelquefois les Velus, qui, suivant saint Augustin et saint Isidore de Séville, s’occupaient à tendre des pièges à la chasteté des femmes[2]. Quoi qu’il en soit, ces contes extravagants sur les liaisons amoureuses du diable ont toujours pour dénouement obligé le récit de quelque hideux enfantement, soit d’un singe, d’un chat noir, soit d’un monstre informe. L’on peut, au reste, excuser ce que ces inventions ont de répugnant en faveur de leur morale éminemment religieuse : ainsi, elles supposent toujours que l’influence de Dieu sur la création est immédiate, et que le privilège de la reproduction n’appartient point aux espèces maudites et dégénérées, mais seulement à celles qui ont conservé la pureté essentielle du germe de vie déposé par le créateur dans leur sein. Les démons se montraient jaloux aussi de s’emparer des enfants de la race humaine, et leur habileté à opérer ces soustractions n’était pas moindre que celle dont, en pareil cas, on faisait honneur aux fées ; seulement, ils étaient engagés à l’exercer par des motifs plus ap-

  1. Bodin, De la Démonomanie des sorciers, liv. II, chap. 7, p. 226 et suiv.
  2. S. Augustin, Cité de Dieu, liv. XV, chap. 23. — S. Isidore.de Séville, Orig., liv. VIII, c. dern.