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CHAPITRE VII.

siasmes à tort et à travers ; des amitiés par boutades ; la manie des petites cruautés, sorte d’épreuve par la torture qu’on réserve à ses plus tendres favoris ? Et, parfois, au milieu de ces mutines espiègleries, se rencontre, aussi, quelque dévouement bien humble et bien pur ; quelque amour silencieux et profond, dont les traditions du lutin peuvent nous fournir plusieurs exemples qui ne sont plus à citer dans les mémoires de jeunes filles.

Tous nos lecteurs se rappelleront, à ce sujet, la touchante et suave histoire du Lutin d’Argail, si poétiquement racontée par Ch. Nodier. Notre Normandie possède aussi un Trilby amoureux, diminutif bien trivial, hélas ! de son frère d’Écosse ; mais, comme la catastrophe de ses amours ne réclame nullement la plume d’un grand poète, nous pouvons en tenter le récit, sans nous exposer au remords d’en avoir gâté l’impression ou amoindri l’effet.

La tradition dont il s’agit se raconte aux environs d’Argentan, sous ce titre : Le Lutin ou le Fé amoureux. Il paraît que ce masculin n’est point une particularité ; d’après les détails qui nous ont été transmis, il appartiendrait à une classe d’êtres connus en certains cantons de la Basse-Normandie, et qu’il faut ranger dans la catégorie des Fées champêtres, dont leur sexe seul les distingue. Sa qualité d’amoureux n’est pas non plus un cas exceptionnel ; c’est le caractère de l’espèce entière d’être sujette à s’éprendre, quoique d’une passion platonique et toute contemplative, des femmes qui, par leur douceur et leur beauté, justifient ce délicat hommage. Une belle femme de la campagne était devenue l’objet d’un pareil culte : un Fé venait lui rendre visite chaque soir, tandis qu’elle filait seule au coin de son foyer ; le Fé avait une place de prédilection : c’était l’escabeau placé à l’autre coin de l’âtre ; il ne manquait jamais de s’y asseoir, et demeurait là des heures entières, en contemplation devant sa maîtresse. Mais, soit que cette femme ne sût pas apprécier cette passion mystérieuse ; soit, au contraire, qu’elle commençât à ressentir