Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
201
CULTE DES ARBRES ET DES FONTAINES.

des eaux, en leur offrant des tartines de beurre. Est-ce parce que les fontaines avaient été consacrées aux fées, aux démons, aux esprits, que long-temps, en Normandie, on leur a attribué une vertu prophétique ? Ainsi, l’on croyait que certaines sources, dont le cours était très inégal, ne produisaient leurs eaux avec abondance que pour annoncer le renchérissement des denrées. Parmi les sources de cette espèce, Gabriel Dumoulin en cite deux qui méritent d’être plus particulièrement remarquées : l’une, qui surgit au bourg de Rots, et va rejoindre la mer après avoir traversé le Bessin, avait été surnommée enragée, parce que, dans les plus grandes chaleurs, lorsque les terres étaient desséchées, et les autres sources taries, on l’avait vue tout-à-coup augmenter de volume et s’échapper d’un cours précipité. Celle du village d’Arnes coulait en pleine campagne, et éloignée de tout ruisseau avec lequel elle eût pu communiquer ; cependant, ses eaux se trouvèrent, à quelques époques, tellement gonflées, qu’elles s’épanchèrent au-dessus de leur lit jusqu’à former un lac qui se peuplait de plusieurs espèces de poissons ; mais ce lac séchait aussitôt que le cours de la rivière reprenait ses limites habituelles[1]. À Rouen, dans la rue Saint-Nicaise, il existe un petit ruisseau d’eau vive, dont le cours est temporaire, et qui ne se montrait, croyait-on, que pour annoncer une époque de famine. Le peuple, dans son langage naïvement métaphorique, a nommé cette petite source : Trou de misère.

Parmi ces vestiges des plus anciennes superstitions, il nous est demeuré des traditions empreintes d’un charme gracieux et poétique. Si nous rappelons ici la fontaine mémorable de Jouvence, c’est seulement pour mettre en parallèle une petite source de notre Normandie, qui ne possède pas un charme aussi puissant que celui de renouveler éternellement la jeunesse, mais dont l’efficacité est cependant précieuse, et surtout consolante. La petite source, dont il s’agit, est située près

  1. Gabriel Dumoulin, Hist. de Normandie, p. 10.