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REVENANTS.

lui dit avec beaucoup de respect : « M. de Villeret, voudriez-vous me céder votre place ? » L’animal merveilleux ne se le fit pas dire deux fois ; il disparut pour jamais, soit qu’il eût été touché de la politesse de cette instance, soit plutôt qu’il eût été blessé de voir son incognito si honteusement trahi.

Encore un digne pendant du moine de Saire : c’est Dame Nicole, dont le fantôme habite le bois de la Pierre, près de l’Aigle. De son vivant, dame Nicole avait commis assez d’actions injustes, de crimes exécrables, pour obtenir de partager, après sa mort, tous les privilèges malfaisants des démons. Aussi se transforme-t-elle souvent en loup ou en chien hargneux, dans le but d’effrayer et de tourmenter les voyageurs[1].

Les ames des prêtres sont sujettes à faire des apparitions. Si un prêtre, pendant sa vie, a négligé de dire une messe, dont il avait reçu le prix, il faut qu’il revienne la célébrer après sa mort, ou même dire les mots essentiels, si, par hasard, il en avait oublié quelques-uns. Il n’est pas rare de rencontrer des sacristes qui prétendent avoir répondu ces sortes d’offices nocturnes[2].

Nous pouvons rapporter, d’après une tradition orale, comment eut lieu la célébration de la messe d’un revenant, à la suite d’une catastrophe tragique, arrivée au petit village de Monterollier, arrondissement de Neufchâtel-en-Bray, dans le temps de la révolution. Ainsi que les autres ecclésiastiques exerçant à cette époque, le desservant de la paroisse de Monterollier avait été mandé à la municipalité de son canton, pour prêter serment à la Convention nationale. Dans les idées du pauvre prêtre, le serment qu’on exigeait de lui devait le rendre coupable d’apostasie et de sacrilège ; mais, d’un autre côté, il n’ignorait pas que refuser d’en remplir la formalité, c’était encourir une mort ignominieuse. L’horreur de cette alternative produisit une impression si

  1. Vaugeois, Hist. des Antiquités de la ville de l’Aigle, p. 587.
  2. L. Dubois, Annuaire statist. de l’Orne, 1809.