Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
266
CHAPITRE XIV.

Le méchant moine a aussi la puissance de se métamorphoser en toutes sortes d’animaux, et, grâce à ces différentes formes, d’être en mesure de varier et de multiplier les embûches qu’il prépare sans cesse aux vivants[1].

On raconte, sur un autre personnage, un récit dont le fonds est analogue à celui de la légende du moine de Saire, mais qui se trouve diversifié par des circonstances nouvelles et singulières.

Un des seigneurs du domaine de Villeret, situé dans les environs d’Harcourt, eut, dit-on, quelques contestations avec sa sœur au sujet de leur héritage commun. Un jour, ces contestations s’envenimèrent de telle sorte, que le seigneur de Villeret, poussé à bout, s’écria : « Que celui de nous deux qui a sciemment tort, soit frappé de la foudre. » Il disait ces paroles solennelles pour en imposer à sa sœur, car il savait trop bien que ses propres prétentions étaient injustes. Au moment, cependant, où il achevait de prononcer ce parjure, se confiant à la sérénité du ciel pour railler impunément la puissance de Dieu, un violent coup de tonnerre se fit entendre, sans qu’on vît aucun nuage s’élever dans l’atmosphère ; la foudre éclata, frappa le sire de Villeret d’une manière si terrible, que sa tête, abattue du coup, bondit sur la terre, et y creusa un trou par lequel elle disparut. Depuis cette époque, un beau lévrier vint hanter chaque soir la grande salle du château ; il se tenait toujours à la place d’honneur, à côté de la cheminée. Durant les longues soirées d’hiver, jamais il ne lui arriva de déserter le foyer, et, si quelqu’un s’avançait pour lui disputer sa place, le lévrier se dressait sur son séant, et, de sa patte droite, allongeait un soufflet lourd et piquant à cet hôte incivil. Cependant, le voisinage du mystérieux lévrier inspirait une sorte de contrainte pénible aux habitants du château. Un de ceux-ci voulut tenter par des voies plus douces d’éloigner l’importun. Il s’approcha civilement du chien, et

  1. P. Le Fillastre, Superst. du canton de Briquebec ; (Annuaire de la Manche, 1832, p. 228 et suiv.)