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CHAPITRE XIV.

exactement à la même place. Il peut alors continuer son voyage sans crainte ni danger ; mais, en agir autrement, serait commettre un quasi sacrilège[1].

Parmi les pêcheurs de Dieppe, il existe, au sujet des morts, plusieurs superstitions particulières. On conçoit aisément que ces imaginations lugubres aient pris naissance, et qu’elles aient conservé toute leur autorité au sein d’une population pour qui la mort est une éventualité sans cesse menaçante.

Le jour des Morts est célébré très religieusement à Dieppe. Si des pêcheurs s’avisaient de monter sur leurs barques ce jour-là, ils se verraient doubles ; c’est-à-dire qu’un second individu, semblable en tout à chacun d’eux, les accompagnerait dans leurs manœuvres. Ils doivent se garder aussi de tenter les hasards de la pêche, car, lorsqu’ils viendraient à tirer de la mer leurs filets chargés d’un poids inaccoutumé, ils ne trouveraient au fond que des squelettes rompus, des ossements brisés, d’affreux débris de la mort et du sépulcre, juste récompense d’un travail sacrilège.

Ce même jour, vers minuit, on entend un char funèbre parcourir les rues du Pollet. Il est traîné par un attelage de huit chevaux blancs, et des chiens blancs le précèdent en courant. Au moment où ce convoi défile, on distingue aisément les voix des gens qui sont morts pendant le cours de l’année qui vient de finir. Mais très peu de personnes ont vu cette apparition, car ceux qui en ont été témoins doivent s’attendre à une mort prochaine. C’est pourquoi chacun se hâte de fermer ses fenêtres lorsqu’on entend le bruit du lugubre cortège[2].

Cette croyance, qui existe aussi en Bretagne et dans le Lauraguais, peut être considérée comme dérivant de la tradition des chasses fantastiques.

  1. P. Le Fillastre, Superst. du canton de Briquebec ; (Annuaire de la Manche, 1832.)
  2. F. Shoberl, Excursions in Normandy, t. I, p. 252.