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REVENANTS.

La croyance que nous allons rapporter n’a pas, comme la précédente, le cachet d’une antique origine ; mais la mort y est évoquée sous un aspect bien plus saisissant pour raviver la douleur et les souvenirs des vivants.

Si les prières de la triste commémoration n’ont pas été assez efficaces pour procurer la délivrance des ames des pauvres naufragés, ou si quelques-uns d’entr’eux ont été négligés, oubliés de leurs proches, voici ce qui arrive vers le milieu de la nuit : La mer est houleuse, le vent furieux, la tempête fouette les vagues de son aile impétueuse, et déchire le ciel en lambeaux. Dans ce moment critique, un navire se découvre en pleine mer, il s’avance avec une rapidité qui fait frémir ; mais en peu d’instants il a touché heureusement la jetée contre laquelle on a craint de le voir se briser. Les spectateurs examinent ce navire, se font part de leurs remarques, et le reconnaissent avec étonnement pour un de ceux qu’ils croyaient naufragés. Voilà bien ses agrès, sa voile, sa mâture ; seulement, les agrès sont brisés, la voile pend déchirée à un mât chancelant et disloqué. Cependant, il faut venir en aide au navire en détresse ; le gardien du phare lui jette la drome, l’équipage la saisit, l’attache à son avant-pont, suivant l’usage. À l’appel du gardien, les femmes et les enfants d’accourir, les uns confiants, les autres incertains ou désespérés. Des cris partis du cœur s’élancent au-devant des marins : « C’est mon père, c’est mon mari, mon frère, mon fiancé ! » répète-t-on de toutes parts. L’équipage demeure silencieux et impassible ! On s’en étonne peu d’abord ; car les marins font vœu quelquefois de ne point parler jusqu’à ce qu’ils aient été remercier Dieu et Notre-Dame de leur délivrance. Mais femmes et enfants se sont attelés à la drome et halent le navire ; celui-ci demeure immobile ! On s’encourage, on s’excite, on redouble d’efforts, on s’arrête par terreur et par lassitude, puis on s’acharne avec désespoir. C’est en vain ! le navire semble ancré par la main de Dieu, et pour l’éternité. Puis le coup d’une heure sonne, un léger brouillard flotte un instant sur la vague, l’équipage