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CHAPITRE XV.

Il n’est pas impossible d’expliquer non plus comment les bergers acquièrent quelques notions de médecine, en expérimentant, sur leurs troupeaux, la vertu de certaines herbes et de certaines plantes. Ces ouvertures, frayées à leur esprit vers plusieurs points des hautes connaissances humaines, font que nos bergers sont aussi plus aptes et mieux disposés qu’aucun de ceux parmi lesquels ils vivent, à recueillir et à conserver ces parcelles plus ou moins précieuses que la science détache parfois de ses trésors et laisse obscurément s’égarer sur sa route. Mais comme, en définitive, cet acquis ne compose qu’un fonds bien modique, pour augmenter leurs moyens de puissance et d’action, et afin de pénétrer de prime abord dans le sanctuaire de la science, dont ils n’ont pas la possibilité d’étudier les détours, les bergers ont recours d’ordinaire à la clef mystérieuse de la magie, aux révélations ténébreuses du grimoire, au protectorat du diable, à l’alliance de tous les esprits transfuges de l’ordre céleste. Grâce aux pratiques spécieuses qu’il leur faut employer à cette fin, il arrive souvent que nos prétendus sorciers commencent de bonne foi par être leurs propres dopes, avant même de chercher à éblouir et à duper autrui.

Apparemment que les miracles de la sorcellerie ne sont pas de ceux que le progrès du siècle a rendus inutiles, car ils sont assez fréquents pour qu’il y ait encore présentement, dans chaque village de nos campagnes, quelque historiette toute fraîche à raconter à ce sujet. Au milieu de cette multitude de récits dont les péripéties et le dénouement ne varient guère, il est bien difficile de déterminer sa préférence, et de faire un choix qui puisse se justifier au jugement du lecteur. Cependant, nous hasardons l’anecdote suivante, qui est restée mieux empreinte que toute autre dans notre mémoire, à cause de quelques détails de mise en scène assez curieux, que nous tenons de la bouche même du principal héros de l’aventure, c’est-à-dire du paysan ensorcelé.

Cet homme habite le canton de Boos, où il exerce le métier