Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
SORCIERS, SORTILÈGES.

d’ouvrier tisserand. Un certain jour, qu’il s’était rendu à Rouen, pour y livrer son ouvrage, il rencontra sur la route, à son retour, un de ses camarades qui lui demanda de venir l’aider à monter une chaîne qu’il se proposait de mettre ce jour-là sur le métier. Notre homme refusa de rendre le service qu’on réclamait de lui, parce qu’il avait à faire le même travail pour son propre compte. « Eh bien ! dit le camarade, en acceptant ses excuses, nous n’en serons pas moins bons amis ; entre à la maison pour te rafraîchir avec un verre de cidre. » Cette offre amicale fut acceptée ; la route avait été longue, la journée chaude ; on vida quelques verres du nectar normand, après quoi notre villageois reprit le chemin de sa demeure. En route, il se sentit tourmenté d’un léger malaise, circonstance assez naturelle à la suite de la libation qu’il venait de faire. Cependant ce malaise, négligé d’abord, devint bientôt une maladie grave, d’une nature suspecte, offrant des symptômes non moins étranges qu’alarmants. Les gens experts commencèrent à soupçonner qu’un sort avait été jeté sur le malade. Celui-ci se plaignait de douleurs d’entrailles très violentes, et l’on remarqua qu’il sortait de son ventre toutes sortes de cris inarticulés et de bruits confus, comme si une multitude d’animaux eussent mêlé leurs coassements. Les gens de bon conseil commencèrent alors à parler de la nécessité d’avoir recours au sorcier ; mais notre malade goûta peu cet avis, soit par défiance, soit par incrédulité. Il se rendit à Rouen, prit quelques consultations des médecins, et, le mal empirant, il obtint son entrée à l’hôpital. Cependant les efforts de la science et les soins assidus de la charité furent également insuffisants pour amener une guérison. Déjà la mort s’approchait, quand les parents et les amis du pauvre malade résolurent, à son insu, de tenter les miracles de la sorcellerie. Ils s’adressèrent, en conséquence, au maître sorcier, personnage d’humeur sombre et taciturne, mais, à cela près, honnête homme et le meilleur berger qu’il y eût dans le canton.