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SORCIERS, SORTILÈGES.

sais quelle discrétion honteuse et souffrante, qui naît de la défiance de lui-même, du prix qu’il accorde à tout ce qu’il envie, et qui l’empêche de rien hasarder. À quelles conditions difficiles nos bons villageois livrent-ils leurs âmes à Satan ? Les uns, de pauvres artisans par exemple, obtiendront d’éloigner du seuil de leur demeure les créanciers avides qui en troublent le repos. Les mendiants feront doubler leur aumône dans chaque maison du canton qu’ils ont l’habitude de parcourir. Les bergers, à leur tour, se mettront avec leur troupeau sous la garde du démon, afin de préserver leurs moutons de toute atteinte malfaisante, et de s’éviter, par-là, les reproches du maître. Parfois, aussi, quelque Faust de village, rebuté de la froideur et de l’insignifiance de sa misérable vie, paiera, de tous les biens de l’Éternité, la joie luxueuse d’illuminer, chaque soir, sa triste cabane avec un brandon de ces feux infernaux dont l’intensité ne diminue jamais. Enfin, de pauvres femmes, pliées par l’âge, et que le bon Dieu semble avoir oubliées à souffrir sur la terre, tandis qu’autour d’elles toute leur génération est éteinte, sont amenées à se vouer au diable pour beaucoup moins encore que tout cela : pour la bouchée de pain qui nourrit leur estomac débile, pour le tas de ronces sèches qui réchauffe leurs membres engourdis. Encore, le diable n’a-t-il pas compassion ou dédain de ces misérables créatures : il les épie comme l’astucieux serpent épiait notre mère Ève ; seulement, comme il connaît l’à-propos des déguisements, il a revêtu, pour cette fois, l’apparence d’un riche Monsieur de la ville. Il marche sur les traces de la pauvre vieille, tandis qu’elle amasse brin à brin son petit tas de broussailles ; puis, lorsque, dans la surprise de cette apparition, elle vient à relever tout-à-coup son front courbé : « Eh bien ! ma pauvre femme, dit alors le diable, parlant en bon seigneur, il me semble que vous avez beaucoup de peine et de fatigue. — Hélas, oui ! mon beau Monsieur, reprend l’humble vieille, tout à la fois orgueilleuse et confuse d’avoir à répondre à un tel interlocuteur ; hélas, oui ! l’hiver a