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CHAPITRE XV.

été rude ; chacun a fait sa provision, et ceux qui ne vont pas vite, et qui arrivent les derniers, ne trouvent plus grand’chose à recueillir. — J’ai compassion de vous, ma bonne femme, et, si vous voulez, je vous épargnerai bien de la peine ; donnez-vous à moi avec confiance, et je vous promets que vous ne manquerez plus de pain pour vous nourrir, ni de bois pour vous réchauffer. — Moi, mon bon Monsieur, mais que voulez-vous faire d’une pauvre vieille comme moi ? à quoi puis-je vous être utile ? — Ne vous inquiétez pas, je veux vous attacher à mon service, dites seulement que vous consentez à m’appartenir. — Ah, c’est trop d’honneur pour moi : tout ce qu’il vous plaira, Monsieur. — Cela suffit, dit le diable en disparaissant. » La pauvre vieille, agitée par mille réflexions que l’étonnement lui suggère, regagne sa cabane en s’interrogeant elle-même à chaque pas. Bientôt une chétive abondance vient se loger à son foyer, et remplacer la cruelle misère qui, naguère encore, le désolait. Mais la vieille femme est bonne chrétienne ; elle a des scrupules et des soupçons sur un bien si vite gagné. Elle va trouver le sage pasteur dont les prudents conseils doivent lui venir en aide. Pourtant, cette visite ne calme point ses dévorantes inquiétudes ; alors, pour apaiser sa conscience. et obtenir le rachat de son ame, elle brûle des cierges au pied de l’image des saints patrons ; elle offre un pain bénit à la messe des fêtes solennelles ; elle accomplit pieds nus de lointains pèlerinages. Et, si tous ces actes de piété ne lui font point obtenir grâce à ses propres yeux, elle meurt infailliblement dans les tortures du désespoir, au milieu de ces convulsions atroces qui attendent les possédés à leur dernière heure.

Le diable enlève quelquefois, corps et ame, ceux qui se sont donnés à lui. On cite de pauvres femmes de village qu’il est venu chercher en carrosse, pour les conduire en enfer. Le plus souvent, il fait mourir ses affidés de mort violente. Ce pouvoir lui a été accordé, afin que les prières de l’église ne fussent pas profanées sur le corps de ces malheureux. Pour