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LÉGENDES RELIGIEUSES.

la pratique fidèle de tous les devoirs de la vie religieuse, jusqu’au moment où une sainte mort couronna leur pénitence, et que Nostre Seigneur reçeust leurs âmes en paradis.

Nous avons dit que des raisons très concluantes devaient faire considérer cette légende comme apocryphe, et que, sur les points principaux, elle était en désaccord frappant avec l’histoire. On sait, en effet, que Clovis II, l’un des plus faibles et des plus ineptes de nos rois fainéants, ne tenta jamais la moindre excursion hors de son royaume. Il mourut âgé de 21 à 22 ans, selon quelques historiens, ou tout au plus de 26 à 27 ans, selon d’autres auteurs. Quoi qu’il en soit, sa mort précoce donne un cachet d’invraisemblance aux faits supposés par la légende. D’ailleurs, il n’eut véritablement, de la reine Bathilde, que trois fils : Clotaire, Childéric et Thierry.

Cependant, la présence du tombeau des Énervés dans la principale église de l’abbaye, pourrait être invoquée comme un garant irrécusable de la véracité de la tradition propagée par les moines de Jumiéges, si l’autorité de ce témoignage ne se trouvait annulée par l’âge même du monument. Il semble de toute impossibilité que ce tombeau, dont les restes précieux sont offerts encore de nos jours aux perspicaces observations des artistes et des savants, remonte à une époque antérieure aux irruptions des Normands, et qu’il ait échappé aux dévastations qui ruinèrent alors le monastère de Jumiéges. E.-H. Langlois, bien digne de faire autorité en semblable matière, a établi que ce tombeau, par le style des figures qui le décorent, et par le choix des ornements et des accessoires, dénote un monument du temps de saint Louis[1]. Si l’on s’en tient à ces savantes observations, il faudra donc ranger, dans la classe des fausses hypothèses, la supposition émise par le savant Mabillon, que le tombeau, auquel les moines de Jumiéges avaient attaché la légende des Énervés, devait renfermer les cendres de Tassillon, duc de Bavière,

  1. E.-H. Langlois, Essai sur les énervés de Jumiéges, p. 64 et suiv.