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LÉGENDES RELIGIEUSES.

même jusqu’à lui jurer sa foi de chevalier, qu’avant peu de jours elle serait confinée dans un cloître, où s’éteindrait sa jeunesse, au milieu des austérités de la pénitence : « Que votre volonté soit faite, mon père, s’écria la jeune fille, avec une sereine résignation. » À peine eut-elle prononcé ce vœu, qu’une éclatante auréole environna de ses reflets son front candide, pour témoigner qu’elle était, dès ce moment, l’élue du Seigneur. Vaincu enfin, le sire d’Estouteville se prosterna aux pieds de sa fille, mais, quand il tenta de relever vers elle son regard humilié, elle était disparue. Il n’osa se mettre lui-même sur ses traces, mais il se hâta de donner des ordres pour qu’on allât au-devant d’elle, par tous les chemins qui aboutissaient au château. Cependant, ces recherches, et toutes celles qui recommencèrent les jours suivants, furent complètement infructueuses ; seulement, un an après cette étrange aventure, un moine pèlerin, qui avait reçu l’hospitalité au château, déclara que Marie d’Estouteville était morte en odeur de sainteté dans un couvent de Carmélites[1].

Le Miracle des roses, que nous venons de raconter, est une de ces inventions ingénieuses que le moyen-âge a souvent reproduites, pour caractériser quelques-uns de ses traits de mœurs les plus saillants. Il s’agissait ici de mettre en évidence la dureté et l’avarice du seigneur châtelain envers les vassaux ou les ouvriers qu’il tenait immédiatement sous ses ordres. Autant les crimes de cette sorte étaient fréquents parmi les chefs de la féodalité, autant la légende destinée à leur servir de morale répressive a dû s’étendre à des lieux plus éloignés, et se renouveler sous plus de noms divers. Aussi, le Miracle des roses est-il connu et popularisé dans plusieurs provinces de la France et de l’Allemagne. Nous ne pourrions rappeler les noms de tous les saints personnages en faveur desquels il a été accompli ; mais nous citerons seulement, pour mémoire, sainte Élisabeth de Hongrie, et saint Mayol, un des

  1. Paul Vasselin, Une Journée à Valmont ; Revue de Rouen (Mai 1841.)