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MIRACLES EMBLÉMATIQUES.

ses diocésains de ce fléau. Enfin, résolu à tenter une attaque directe, le zélé prélat se fit accompagner par un meurtrier, déjà sous le coup d’un supplice infamant. Saint Romain, en pénétrant dans le repaire de la bête cruelle, fit devant elle le signe de la croix ; celle-ci se trouva aussitôt comme transformée par une magie divine, c’est-à-dire que ses instincts furieux firent place à la plus paisible douceur. Cette accommodante disposition du monstre permit à notre évêque de lui passer son étole autour du cou, et de le donner à conduire en laisse au criminel qui prêtait sa coopération au miracle. C’est de cette manière que l’épouvantable serpent fut amené dans la cité de Rouen, pour y être brûlé publiquement, à la grande réjouissance de toute la population[1].

Il n’est pas besoin d’ajouter que, par compensation à ce supplice exemplaire, le meurtrier qui s’était fait le conducteur du dragon obtint sa grâce sur-le-champ. Et, afin que le souvenir de ce glorieux miracle ne se perdit jamais, le roi Dagobert, de l’avis de saint Ouen, alors son référendaire, accorda à l’église cathédrale de Rouen la faculté de délivrer, tous les ans, le jour de l’Ascension, un prisonnier, à son choix, aucune sorte de crime n’apportant exclusion à ce droit de grâce.

Telle est la tradition qui a servi de titre au clergé de l’église métropolitaine, pour réclamer, avec une insistance qui ne se démentit qu’en présence de la révolution, l’inestimable

  1. Quelques narrateurs prétendent que la demeure de la Gargouille se trouvait dans la forêt de Rouvray ; d’autres affirment qu’elle existait sur un emplacement situé entre la porte Beauvoisine et la porte Bouvreuil, et qui est appelé le Champ du Pardon. Ce n’est pas, au reste, par allusion au miracle de la Gargouille que ce champ fut ainsi nommé, mais parce qu’on fut obligé, vu le grand concours de peuple, de faire en ce lieu la prédication qui accompagna la première célébration de la fête solennelle de saint Romain, instituée en 1079, par Guillaume Bonne-Ame, archevêque de Rouen. De nombreuses indulgences ayant été accordées, à l’occasion de cette fête, on donna à l’endroit où leur distribution avait été faite, le nom de Champ du Pardon. (Farin, Hist. de la ville de Rouen, t. I, p. 63.)