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CHAPITRE XX.

privilège de la Fierte. Tous nos lecteurs savent que la Fierte était la châsse renfermant les reliques de saint Romain, que, dans le cérémonial de sa délivrance, le prisonnier était obligé de soulever, par trois fois, sur ses épaules. Quant à l’étrange surnom de Gargouille, attribué au monstre vaincu par le bienheureux évêque, il faut en chercher l’origine dans les habitudes du langage populaire. Au quatorzième et au quinzième siècle, on appelait gargouille, par toute la France, ces énormes gouttières terminées par des figures aux formes fantastiques, aux attitudes menaçantes, qui entouraient les églises, les châteaux et d’autres importants édifices. Si, comme le pense judicieusement M. Floquet, on a voulu, par l’harmonie imitative du mot gargouille, caractériser le bouillonnement de l’eau dégorgeant d’un long tuyau pour retomber à terre avec fracas, on doit croire que ce nom, appliqué d’abord à l’ensemble de l’objet qu’il voulait désigner, aura passé ensuite à un simple détail, c’est-à-dire de la gouttière à sa pièce principale d’ornementation, et de là, par analogie, à la monstruosité animale que l’on voyait terrassée aux pieds du saint patron de la métropole normande[1].

Avant de clore nos observations sur la légende de la Gargouille, nous ferons remarquer que l’une des relations, produites par le chapitre de Rouen, offrait une variante assez notable avec le récit que nous venons de faire, et constituait en même temps une grave erreur[2].

D’après cette variante, le prisonnier aurait conduit le dragon en laisse jusqu’à la Seine, où il l’aurait noyé, en le jetant pardessus le pont. Mais une circonstance nuit à l’évidence de ce récit : c’est qu’il n’existait point de pont, à Rouen, au temps de saint Romain, puisque le premier qu’on y construisit,

  1. A. Floquet, Histoire du Privilège de Saint-Romain, t. I, p. 45.
  2. La relation dont il s’agit ici fut adressée, en 1485, au roi Charles VIII, séant en son lit de justice à l’échiquier de Rouen, par maistre Estienne Tuvache, chancelier et chanoine de l’église cathédrale de Rouen. (Cité par Floquet, Histoire du Privilège de Saint-Romain, t. I, p. 12.)