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PERSONNAGES CÉLÈBRES.

la fontaine, et, après s’être baignés délicieusement dans ses ondes, ils firent festin d’une viande exquise, dont chacun d’eux prit sa part avec empressement. Alors, ils se dispersèrent sur toute la montagne, et cherchèrent à se construire des nids. Rollon, ayant tenté de diriger leurs efforts, reconnut avec joie et surprise qu’ils lui obéissaient ponctuellement. À son réveil, le chef des Normands raconta à toute sa suite l’agréable vision qui l’avait occupé la nuit entière, mais il ne trouva personne, même parmi ses scaldes et ses devins, qui pût la lui expliquer. C’est que les trompeuses lueurs de leurs superstitions ne leur permettaient pas de saisir une révélation divine. Cependant, un Anglais, inspiré par l’Esprit saint, s’offrit à donner l’interprétation désirée : « La montagne, dit-il, figure l’église chrétienne ; la fontaine représente le baptême et les saintes onctions par lesquelles vous serez purifié ; la lèpre, la tache ignominieuse du péché ; les oiseaux aux ailes éclatantes de couleurs diverses, qui se sont baignés à votre suite, ne sont autres que vos guerriers qui, devenus chrétiens à leur tour, communieront d’une même foi avec les peuples que vous aurez conquis, les aideront à reconstruire les églises et les monastères abattus et dévastés, et, en un mot, se transformeront en preux chevaliers, dont l’origine se distinguera aux riches couleurs de leur écu blasonné, et qui devront vous rendre hommage comme à leur suzerain[1].

Quand Rollon eut entendu l’explication d’un songe qui lui annonçait tant de gloire, il délivra tous les prisonniers anglais, et les renvoya comblés de présents au roi Alfred, afin d’obtenir la paix jusqu’au printemps prochain, époque à laquelle il se promettait d’abandonner l’Angleterre, pour voguer vers les rivages de la France.

  1. Chronique rimée de Philippe Moushes, publiée par le baron de Reiffenberg, t. ii, p. 45.

    Suivant le Roman de Rou, qui renferme aussi, t. i, p. 50, l’interprétation du songe de Rollon, les ailes des oiseaux auraient été uniformément de couleur rouge, comme devaient l’être plus tard les écus des Normands.