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CHAPITRE XXIV.

teur. Comment donc se fixer sur la version authentique ? Si l’on en croit, cependant, l’opinion la plus répandue, il s’agissait de livrer à Satan le premier être vivant qui traverserait le pont, et l’on eut soin d’y faire passer un malheureux matou qui était devenu suspect aux ménagères du voisinage, pour cause d’abus de confiance et de vol domestique. Toujours est-il que le diable se trouva forcément débouté de ses réclamations, à preuve, c’est qu’il refusa de terminer son œuvre. En effet, on remarque encore aujourd’hui de notables interruptions aux parapets du pont. Au reste, Satan eut lieu de se consoler de sa défaite ; au moins avait-il travaillé pour sa gloire : la remarquable solidité de ce pont est toujours un sujet d’étonnement pour l’observateur, et cet échantillon des œuvres d’art du diable peut faire sincèrement regretter que l’infernal architecte ne nous vienne plus désormais en aide que dans les travaux de démolition, lorsqu’il s’agit, par exemple, de transformer en filatures les belles ruines de nos antiques monastères, ou de jeter à bas les anciens châteaux, pour être dispensé d’en faire les réparations[1].

La renommée que le diable s’était acquise comme architecte, au moyen-âge, fut cause qu’on lui fit alors honneur des plus admirables constructions des époques précédentes. Quelques routes romaines des environs de Condé-sur-Iton lui sont attribuées, et notamment celle qui, de Condé, conduisait à Suindinum, chef-lieu des Aulerces-Cénomans. Voici comment les habitants de Condé expliquent ce fait merveilleux : On avait un besoin pressant de ce chemin, mais il paraissait impossible de l’achever pour l’époque déterminée. Le diable proposa de se charger de cette entreprise, et même de la mener si promptement à fin, qu’un cheval lancé au galop ne pourrait suivre les progrès de son travail. Témoins pris et gageure faite, le diable acheva le travail dans le délai fixé[2].

  1. L. de Duranville : Notice sur la ville de Pont-de-l’Arche. (Revue de Rouen, octobre 1843.)
  2. G. Vaugeois, Histoire des Antiquités de la ville de l’Aigle, p. 478.