Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/522

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
489
LÉGENDES MERVEILLEUES.

Un des endroits les plus pittoresques de la Normandie, c’est une montagne rocheuse, près de Pôtigny, fendue dans toute sa longueur à une profondeur de plus de deux cents pieds. Une limpide petite rivière, la Laison, coule au fond de ce vaste abîme, qui déguise les formes abruptes de ses énormes déchirements sous les coquettes bruyères, les fraîches mousses, les lianes nonchalantes et gracieuses dont il est tapissé de toutes parts. D’étroits sentiers découpent de leurs lignes onduleuses les parois de l’immense crevasse, et conduisent à de charmantes maisonnettes qui, bravant les futurs bouleversements du rocher, ont pris hardiment possession de cet Éden souterrain. Mais, le croirait-on ? cette montagne ainsi faite, avec ces majestueuses et ravissantes beautés, c’est encore une œuvre phénoménale du diable ; et la tradition, qui nous l’affirme, nous donne, à ce sujet, des détails assez précis pour qu’il y ait lieu de ne pas douter de la vérité du récit :

Lorsque saint Quentin vint s’établir dans cette contrée, dont il fut le premier apôtre, il bâtit une église auprès de la brèche, sur le même emplacement où l’on en voit une encore de nos jours. Mais alors la brèche n’existait pas ; la montagne se tenait d’un seul morceau, et elle était entourée de tous côtés, à sa base, par la Laison, qui, se perdant en mille détours sans pouvoir trouver d’issue directe, finissait par épancher ses eaux sur les plaines environnantes. Saint Quentin vivait donc forcément isolé sur son rocher, et c’était par un cas bien rare que quelque pieux néophyte se hasardait à traverser le lac pour venir prier à la nouvelle église. Sans sa parfaite résignation aux volontés du ciel, le saint eût trouvé à se plaindre, peut-être, des empêchements matériels qui contrariaient l’efficacité de son apostolat. Mais, quoiqu’il se le déguisât à lui-même, son chagrin secret avait été observé par Satan, qui résolut d’en tirer quelque avantage personnel. Un jour donc le rusé démon se présente devant le saint, et, sans employer ces insidieux pourparlers que dédaignent, en général, les gens qui