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LÉGENDES MERVEILLEUES.

Antoine, et agitant encore au-dessus de sa tête le goupillon trempé d’eau bénite qui avait été son arme de salut[1].


le lac de flers.


Près de la ville de Flers, se trouve un bois dans lequel est renfermé un étang, ou plutôt un petit lac. Ce lieu est silencieux et isolé, et le mirage des grands arbres estompe la surface du lac de teintes si sombres, qu’on se prend à rêver de quelque effrayant mystère qui se cache, comme un limon impur, au fond de ces eaux dormantes.

Il y a beaucoup, beaucoup d’années, dit la tradition, existait, sur cet emplacement, un couvent, fondé par un pécheur repentant, en expiation de ses péchés. Durant les premiers temps de la fondation, les moines menèrent si sainte vie que les habitants de la contrée environnante accouraient en foule, pour être édifiés de leurs pieux exemples et de leurs touchantes prédications. Mais le couvent devint riche et somptueux, et, peu à peu, les moines se départirent de la stricte observance de leur règle. Bientôt l’église du monastère demeura fermée, les chants religieux cessèrent de retentir sous ses voûtes, une clarté triomphante ne vint plus illuminer ses sombres vitraux, et la cloche de la prière ne fit plus entendre son tintement matinal pour réveiller tous les cœurs à l’amour de Dieu. Mais, en revanche, le réfectoire, réjoui de mille feux, ne désemplissait ni le jour ni la nuit ; des chœurs bachiques, où perçaient des voix de femmes, frappaient tous les échos de leur sacrilège harmonie, et les éclats d’une folle ivresse annonçaient au voyageur et au pèlerin, qui passaient devant l’enceinte du monastère, que le sanctuaire de la dévotion et de l’austérité s’était transformé en une Babel d’impiétés et de dissolutions.

Or, il arriva que, la veille d’une fête de Noël, les moines,

  1. F. Shoberl, Excursions in Normandy, vol. ii, p. 173.