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Bruyère, Montaigne, etc., tour à tour la sollicitaient. Elle les ouvrit l’un après l’autre, mais ne se laissa captiver par aucun. Tout cela lui paraissait aride, difficile, abstrait, quelquefois grossier et quelquefois puéril, toujours arriéré. Ni l’arome antique ni la saveur gauloise qui s’échappaient de ces livres ne la pénétraient ; elle ne leur empruntait pas cette sève rajeunissante qu’ils communiquent à tous ceux dont l’âme leur est unie par un lien filial ; elle n’y retrouvait pas ses antécédents ; elle ne revivait pas dans leur pensée, sentant se réveiller à leur voix, par une rétrospection merveilleuse, un long passé endormi dans son imagination. Ils la fatiguaient et l’irritaient, quand ils ne l’ennuyaient pas.

Sa foi dans ses propres impressions et sa confiance dans l’éducation qu’elle avait reçue étaient si complètes, qu’elle ne se sentit nulle honte de n’avoir point l’intelligence de ces œuvres de génie. Elle prenait cette impuissance d’admiration pour un triomphe de sa fermeté, et elle voulut en faire part à madame de Nerville. C’était comme si elle lui eût dit : « Vous vous trompiez en pensant que mon esprit avait besoin de nouvelles lumières : il n’y avait rien