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lui l’or et l’argent des perdants, qui tombait en bloc dans la caisse ; puis, faisant ensuite glisser d’autres pièces l’une sur l’autre, il formait sous sa main de nouvelles piles pour tenir les mises. Ces mouvements s’exécutaient avec une régularité implacable, et la sonorité métallique différente et si intense et si nette qui accompagnait chacun d’eux se rhythmait dans les nerfs et le cerveau d’Eugène de Malmont. C’était un stimulant qui sollicitait encore ses ardentes convoitises ou une importunité cruelle qui fatiguait son désespoir.

Une nuit, au moment où le banquier se levait de son siége, où les joueurs se disposaient à partir, Eugène de Malmont, étendu sur un divan, à l’extrémité de la salle, avait fait un mouvement pour s’en aller ; puis, se ravisant, avait appliqué sur son front le canon d’un pistolet qu’il avait tiré de sa poche. Un instant après, son cadavre mutilé épouvantait tous ceux de ses compagnons dont l’égoïsme n’avait pas encore atteint ce dernier degré d’insensibilité qui fait que le malheur d’autrui ne vous touche plus ni par la pitié ni par la terreur.

On remarqua que la fortune, ce soir-là, ne lui avait point été constamment défavorable,